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18 décembre 2016 7 18 /12 /décembre /2016 17:19

La barque silencieuse, qui donne son titre au nouveau recueil de Pascal Quignard, difficile de ne pas pressentir que c'est sur les eaux calmes du fleuve des Enfers qu'elle glisse – le fleuve qui sépare le monde terrestre du monde des morts, l'ici-bas de l'au-delà des damnés. Encore est-ce une façon de présenter les choses qui convient fort peu à Quignard. Le monde des morts ? L'au-delà ? Notions très étrangères à l'écrivain, qui, s'il puise au répertoire des motifs chrétiens comme il emprunte aussi aux mythologies et aux contes d'Extrême-Orient et d'ailleurs, s'il cite Augustin, L'Imitation de Jésus-Christ et les jansénistes comme il convoque Socrate, Pline ou Cicéron, n'a rien d'un esprit épris de foi. Un mystique à sa façon, sans doute, mais un mystique sans Dieu, un athée radical pour qui se confondraient contemplation et lecture, extase et mélancolie, prière et solitude.

La mort, mais aussi la liberté individuelle – y compris et surtout celle de se tuer, de quitter la vie, donc de « quitter le groupe », de déserter, de tourner le dos à la société, aux religions, aux philosophies humanistes – sont au centre de ce sixième volume de l'ensemble Dernier Royaume, commencé il y a sept ans avec Les Ombres errantes, Sur le jadis et Abîmes, poursuivi trois ans plus tard par Les Paradisiaques et Sordidissimes (1). Une entreprise littéraire au long cours – entrecoupée de pauses romanesques –, dans laquelle l'intérêt ancien, voire originel, de l'écrivain pour le fragment trouve à se déployer sans contraintes ni entraves. Contes, discrets éclats autobiographiques, descriptions de paysages ou d'objets, méditations spéculatives, réflexions étymologiques et, bien sûr, et sans fin, réminiscences de lectures : Pascal Quignard ne s'interdit rien, juxtapose ses pièces comme on construit une chambre d'échos, faussement digressif, attentif à l'unité secrète qui organise ses chapitres et sa réflexion. Revenant toujours vers ses obsessions, cette quête des origines – origines de l'homme, de la vie, du langage, du signe - qui est le fil rouge de Dernier Royaume. Ce qu'il nomme le « jadis », archaïque, sauvage et heureux, qui n'est pas à confondre avec le passé, qui échappe au temps linéaire et est dérobé à l'homme lorsqu'il naît. Une perte dont se nourrit sa mélancolie : « Nous emportons avec nous lorsque nous crions pour la première fois dans le jour la perte d'un monde obscur, aphone, solitaire et liquide. Toujours ce lieu et ce silence nous seront dérobés. Toujours une caverne noire, des voies souterraines, des ombres avant soi, des sombres bords, une rive trempée hantent l'âme des hommes partout. Tous les vivipares ont leur tanière. C'est l'idée d'un lieu qui ne serait pas mien mais moi en personne. »

Elle est là, la vraie question brûlante. La mort, Pascal Quignard n'en nie pas moins le mystère. « Tout destin humain est : l'inconnu de la mise au monde confié à l'inconnu de la mort. » Alors, il la considère sous toutes ses coutures, selon les angles de vue les plus inattendus, éventuellement les plus crus, les plus obscènes (de l'origine du mot corbillard à l'agonie de Mazarin ou l'exhumation du corps putréfié de Bossuet, avec ici et là quelques contes plus cruels les uns que les autres, où parfois l'amour et la mort s'entremêlent...), comme pour mieux la désacraliser peut-être, la moquer parfois. Livre subversif, La Barque silencieuse l'est au moins à ce titre. Sombre, érudit, mélancolique. Traversé d'instants de fulgurante et inoubliable beauté.

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